L'éczéma et l'intimité
J’ai eu quelques doutes avant d’aborder ce sujet de l’intimité et l’eczéma…
Avons-nous vraiment envie de dévoiler ce qui se trame lors d’une crise dans le cadre de l’intimité ?
Un sujet que ne semble pas réaliste puisque qu’on trouve peu d’article dessus. Un sujet qui n’a pas l’air d’en être un.
Sans qu’on s’en aperçoive, l’eczéma s’immisce dans pratiquement toutes les sphères du quotidien, assez subtilement pour en oublier certains penchants très importants : comme celui de la santé sexuelle.
Pour élargir cette bribe de témoignage, j’ai rencontré :
- Morgane Beauvais, sexologue basée à Lyon et spécialisée dans la santé sexuelle des sujets ayant des maladies chroniques cutanées.
- Alec, patient sévère de la DA qui témoigne de son rapport à l’intimité en vivant avec un eczéma très impactant.
- Antoine, ex-compagnon d’une personne touchée par la DA qui a bien voulu faire part de son expérience lors de cette relation qui fût impactée par l’eczéma.
Il y a souvent un grand écart entre la perception de la maladie et la réalité.
Souvent lorsque des personnes entrent dans mon cabinet avec ce type de pathologie, elles me parlent de l’appréhension du regard de l’autre, la peur de ne pas être désirée, une forme d’autocensure, de pudeur liée aux marques laissées par la maladie, aux odeurs liées aux plaies qui suintent, les douleurs cutanées, une forme d’hypersensibilité liée à la peau lésée, au non accueil, au manque de compréhension par l’entourage : tout ça a des conséquences au sein de l’intimité de l’individu et dans son couple.
Et toutes ces choses ont des conséquences sur la libido. Ces gens là viennent me voir car il y a une diminution du plaisir, du désir. Certaines personnes ne font pas toujours le lien avec la maladie. Tandis que d’autres viennent en affirmant que la maladie a une conséquence sur leur sexualité.
Souvent ce qu’on vient me partager, ce sont les conséquences de la maladie dans l’intimité :
ce que j’appelle ‘une soumission à la crise’ : tu avais prévu de sortir ce soir – mais vu que tu es en pleine crise, tu ne vas plus rien pouvoir faire et tu vas rester chez toi car tu es en souffrance.
Ça a des conséquence dans le quotidien et la vie.
Il y a aussi ‘la soumission au désir de l’autre’ : voilà j’ai plus de libido, je suis mal, je ne peux plus avoir de rapports sexuels. L’autre a du désir, des envies. Et je vais me soumettre au désir de l’autre. Une forme de dissociation se créé pour répondre au désir de l’autre.
Tout cela génère de la honte, des ressentis… qui créent des violences extrêmement dures pour le corps et pour l’esprit.
Il y a aussi des personnes qui culpabilisent de ne pas pouvoir vivre une intimité avec l’autre car « je ne peux pas satisfaire mon/ma partenaire…il/elle va me quitter ».
Quand on gratte un peu, il y a des points récurrents dans les témoignages qui viennent en cabinet, en lien avec les conséquences qu’offrent la maladie et des risques qui sont possibles de l’ordre de la soumission à la maladie et au désir.
“J’ai toujours eu de l’eczéma, de manière chronique avec un terrain allergique. Les plis sont touchés de manière constante, en crise ça se généralise.
En relation j’ai toujours pris l’habitude de ne pas trop dormir avec l’autre, de ne pas me coller à l’autre.
En ce moment j’ai l’impression d’être « sorti du game.”
— Est-ce que ce sont les attentes des autres qui t’ont sorti du “game” ou c’est ton propre regard ? —
Un peu des deux.
La question c’est : est-ce que je préfère avoir plus d’eczéma demain ou en avoir moins ?
Si j’en veux moins, on évite ces rapports physiques. Si je m’en fou on peut avoir un rapport physique. À moi de juger le pour et le contre.
C’est ça qui est terrible, l’eczéma n’empêche pas de faire les choses concrètement. Pour moi c’est une habitude très imprimée d’avoir la peau en feu, d’avoir la peau craquelée, d’avoir mal après la douche, etc.
Mais je suis arrivé à saturation de tout ça.
Une fois que j’ai gouté à une peau normale où je me gratte beaucoup moins, où ma peau est beaucoup plus lisse, eh bien c’est plaisant. Mentalement ça libère beaucoup d’espace.
Donc en ce moment je me dis que c’est pas si grave, que j’ai pu “profiter“ quand j’en avais moins, et que je préfère le quotidien quand ma peau est plus saine.
En plus je souligne, les gens n’osent pas te toucher. Même si personne n’en est venu à dire « wow – je ne m’attendais pas à ça, rhabille-toi », heureusement ahah ! Mais il faut jouer dans « sa cours », c’est-à-dire que si je suis bienveillant normalement je me retrouve dans des groupes bienveillants.
Mais j’ai la chance de ne pas en avoir sur le visage. Le regard des autres en société ça n’a pas vraiment d’impact.
Même si je trouve ça moche : quand j’en ai beaucoup sur les bras, non je ne sors pas en t-shirt.
— L’eczéma impacte-t-il tes relations amoureuses ? —
Je n’ai pas été en couple en période de crise.
Le souci en ce moment, c’est que je suis tout gras avec la crème. La possibilité d’intime s’arrêterait à partir du moment où je fais le protocole de soin le soir .
Les habits que je porte pour l’habillage sont déjà flingués donc tu n’es pas très présentable. Ce n’est pas évident.
Je ne vois pas comment l’eczéma ne pourrait pas avoir d’impact sur mes relations physiques.
Le nombre de personne qui ont peur de toucher ma peau quand j’en ai est assez important.
Et vis à vis des gens que je fréquente, forcément je vis moins de moments intimes avec ces personnes, par ricochet ça impacte la libido.
Le rapport au toucher est assez compliqué. Tu graisses tout ce que tu touches donc c’est compliqué et bizarre d’imaginer un rapport intime dans ce contexte.
Pour la santé mentale il faut trouver ce qui est le plus logique, donc tu es amené à faire des choix et zapper certaines choses.
Tu réfléchis autrement et c’est comme tout handicap, c’est devenu une habitude. Au bout d’un moment la question ne se pose plus.
— Est-ce que tu sublimes ça autrement ? —
C’est vrai que chaque crise est une opportunité pour se réinventer et pour voir les choses autrement. Je mets en lumière ce côté-là car sinon c’est très compliqué.
Et j’ai la chance d’être compris par certaines personnes de mon entourage qui ont aussi eu des problèmes de santé limitants, donc quand tu as des exemples c’est plus facile.
Lorsque le dermatologue ou l’allergologue m’ont affirmé que j’aurais ça toute la vie, que le seul moyen ce sont les traitements lourds comme ce que je fais en ce moment… bah non je ne m’arrête pas à ce qu’ils disent !
sinon l’idée ce serait d’arrêter de vivre tout de suite ?
Les activités intellectuelles c’est bien mais c’est pas suffisant !
Et puis c’est visible, personne ne peut dire que je n’en ai pas.
J’évite aussi de dormir avec des gens, je me gratte toute la nuit donc la personne à côté dormirait mal aussi.
Pour relativiser : par rapport à plein de problèmes qu’on peut avoir dans la vie, j’ai envie d’affirmer que c’est pas le plus gravissime. Je le prends comme ça pour que ça aille bien. Il faut imaginer les solutions et se projeter que ça aille mieux, car si je n’ai pas de perspectives d’avenir au niveau des symptômes ça serait dur !
Et dans le quotidien avec une personne, il faut en discuter et se rendre compte qu’il y a plein de solutions, d’alternatives, d’autres schémas.
Si les deux font des efforts, on peut réinventer la relation, et il faut se dire que chaque crise est une opportunité d’aller assouvir ses désirs sur d’autres terrains.
Au delà du physique, j’ai compris aussi que c’était dur psychologiquement.
Cela change le rapport au toucher, comment moi je pouvais la toucher.
Beaucoup de choses deviennent contraignantes : la poussière, la chaleur, l’humidité deviennent des facteurs.
Ma rugosité de mains, mes joues mal rasées, ne pas pouvoir toucher de mes lèvres sa peau (celle de son cou par exemple) car elle me disait que c’était comme à vif.
Je faisais en sorte que ma peau transpirante ne soit pas en contact avec ses zones lésées.
Parfois elle restait habillée pour éviter le frottement des peaux.
Spécifiquement je me lavais les mains avant la moindre caresse sur le visage ou avant un rapport – passage obligatoire mais je le faisais spécifiquement pour éviter que mes mains potentiellement sales passent sur les plaques et provoquent une allergie.
Comme je l’aimais énormément à aucun moment ça n’a été une entrave, ou une gêne pour moi.
Je pense que cela peut-être “positif” pour mieux se comprendre à travers l’aide que l’on apporte à l’autre.
L’important pour quelqu’un qui vit avec une personne touchée c’est de savoir accepter la situation, accepter que l’autre aille mal sans soi-même aller mal.
Ce n’était pas à moi d’imposer qu’elle n’ait aucune crainte par apport à mon regard mais c’était à moi d’accepter qu’elle n’aimait pas mon regard sur son visage qui était touché par l’eczéma souvent.
C’était aussi d’une grande complexité – à quel moment ma présence pouvait la soutenir, à quelle moment elle avait besoin d’espace.
— Est-ce que du coup tu ne te permettais pas d’aller moins bien ? —
Vivre avec quelqu’un qui a de l’eczéma permet de relativiser et de comprendre que quand on a pas de problème de peau on a une chance inouï .
On ne peut que être en bonne santé mentale. On n’a pas le droit d’être grincheux à côté de quelqu’un qui va vraiment mal.
D’un point de vue personnel, j’ai moi-même minimiser l’eczéma au début de la relation puis en apprenant à le connaître j’ai compris bien d’autres choses.
En observant, j’ai vu ses yeux plus gonflés, sa peau rougit à certains endroits, ce ne sont pas des signes immédiats mais cela demande parfois plus d’observation et de compréhension. Ceux qui ne connaissent pas la personne ou l’eczéma peuvent se dire simplement qu’elle n’a pas une très belle peau, ou une peau très sèche, que c’est un moment passager – ou juste une peau granuleuse rosée ou autre. Il faut connaître la personne pour savoir que parfois ça modifie le physique.
Je l’ai plus connue avec de l’eczéma mais je l’ai vue sans eczéma. En sortie de crise c’était des moments très heureux !
— Un message à transmettre ? —
Cette relation m’a impacté de manière positive en m’apprenant la tolérance, la patience.
Mon conseil serait de prendre plaisir à aider l’autre.
J’ai posé plein d’intentions pour palier au gouffre de joie qu’était l’eczéma – en faisant la cuisine au top, en cherchant des sources d’eau chaude, en lui proposant de l’aide dans le soin, en l’aidant avec de la méditation, des contes etc.
Mon conseil : garder la foi rester positif / se projeter / continuer à apporter des moments d’aide et de fraîcheur dans la douleur et vivre les moments où il y a du bonheur.